Le président malien, Amadou Toumani Touré, dont on était quasiment
sans nouvelles depuis le coup d’Etat du 21 mars dernier, a accordé ce
mercredi un entretien à RFI. Il affirme être au Mali, en bonne santé et
libre. Et il appelle ses compatriotes à soutenir le plan de sortie de
crise proposé par la Cédéao.
Amadou Toumani Touré : Je voudrais tout d’abord prononcer une petite
déclaration : j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les conclusions à
l’issue du sommet extraordinaire de la Cédéao, tenu mardi à Abidjan. Je
souscris entièrement aux propositions faites par les chefs d’Etat pour
une sortie de crise dans notre pays. Cela s’entend par le retour à
l’ordre constitutionnel normal ce qui est cardinal. Et cela nous
permettra certainement d’éviter toute aventure. Cela passe aussi par la
remise en place des institutions de la République qui ont été
démocratiquement élues par le peuple souverain du Mali. Le « cas ATT »
est certainement le plus simple. A deux mois de la fin de mon mandat, je
reste disponible et surtout compréhensif pour toute solution allant
dans le sens de l’apaisement et de la sauvegarde de la démocratie
malienne citée en exemple. Démocratie que, avec tant d’autres Maliens,
tant d’autres démocrates, j’ai contribué à mettre en place. Je demande à
mes compatriotes maliens et aux amis de notre pays de soutenir cette
sortie de crise. Le Mali ne mérite pas du tout cette période de crise.
RFI : Monsieur le président, cela fait 7 jours que l’on est
sans nouvelles de vous. Comment vous portez-vous ? Quel est votre état
de santé ?
ATT : Je me porte très bien. La seule chose qui me manque c’est un peu de sport. Mais je me porte très bien et ma famille aussi.
RFI : Où vous trouvez-vous actuellement ? Etes-vous toujours en territoire malien ? A Bamako ou à l’intérieur du pays ?
ATT : Je suis à l’intérieur du Mali. Chez moi, au Mali.
RFI : Etes-vous détenu par les mutins ou libre de vos mouvements ?
ATT : Je ne suis pas détenu par les mutins. Je suis libre dans mon pays.
RFI : Mais vous n’êtes pas à Bamako ?
ATT : Je vous ai dit que j’étais au Mali, et la prochaine fois que
nous nous verrons je vous dirai où j’étais pendant tout ce temps…
RFI : Comment voyez-vous cette décision de la Cédéao qui
consiste à vous réinstaller dans vos fonctions de président de la
République ?
ATT : Je dis que le plus important pour moi aujourd’hui ce n’est pas
ma personne. Je suis à deux mois de la fin de mon mandat. Je pense que
le plus important aujourd’hui, c’est, de manière consensuelle, avec
l’ensemble de la classe politique malienne et l’ensemble des parties
présentes, et l’ensemble des chefs d’Etat de la Cédéao, de ménager une
sortie de crise. Je pense que le plus important aujourd’hui, ce n’est
pas ATT, ce n’est pas les hommes, ce qui est important c’est la
démocratie, c’est les institutions, et c’est le Mali.
RFI : Vous êtes donc prêt à partir ? A vous retirer ?
ATT : La question ne m’a pas encore été posée, mais sachez que, il y a
22 ans que je pense être utile à mon pays. 22 ans après, je suis là
encore, face à cette crise. Et pour moi c’est le Mali d’abord et le Mali
avant tout.
RFI : Est-ce que vous vous considérez toujours comme le président du Mali ?
ATT : Je ne veux pas rentrer dans cette polémique. Je me considère
d’abord comme un citoyen malien, comme un démocrate. Aujourd’hui ce qui
compte pour moi, ce n’est pas ma douleur, elle n’est rien. Mais ce qui
me peine, c’est la situation dans laquelle je vois mon pays.
RFI : Une nouvelle Constitution vient d’être présentée par
la junte qui se propose de ne pas se présenter aux prochaines élections.
Cela vous semble-t-il recevable ?
ATT : Je pense que ce n’est vraiment pas à moi de décider. Les chefs
d’Etat de la Cédéao viendront à Bamako, ils discuteront avec les uns et
les autres, et c’est le plus important.
RFI : Revenons sur la journée du mercredi 21 mars. Comment
êtes-vous parti du palais présidentiel ? Comment s’est passée cette
journée pour vous ?
ATT : J’ai passé toute la journée sous les canons depuis pratiquement
16 heures. Canons de chars, canons de véhicules blindés, toutes sortes
de tirs étaient concentrés sur mon bureau, sur mon domicile et sur ma
famille. Et aux dires de certains, il ne reste plus rien, tout est
calciné. Mais pour un vieux commando, il reste toujours un moyen de se
tirer d’embarras et c’est ce que j’ai fait.
RFI : Mais avez-vous délibérément demandé à la garde présidentielle de ne pas répliquer, de ne pas combattre ?
ATT : En aucune manière je ne souhaiterais jamais que des soldats de
l’armée malienne tirent sur d’autres soldats de l’armée malienne. Pour
moi qui suis aussi soldat et officier de cette armée, vous pouvez
imaginer que je n’aurais jamais souhaité des affrontements entre les
forces armées uniquement pour protéger un homme. Le plus important
aujourd’hui, c’est d’en appeler à l’unité, c’est d’en appeler à la
cohésion pour faire face à tous les défis qui attendent le pays.
RFI : Etes-vous encore entourés de quelques fidèles ?
ATT : Je ne pourrais pas vous le dire. Vieux soldats, il y a quelques
secrets militaires que je garde pour moi. Mais le plus important c’est
que je me porte bien et que je suis en République du Mali.
RFI : Etes-vous favorable à une intervention militaire comme
le suggère la Cédéao en cas de refus du plan de sortie de crise par les
mutins ?
ATT : Je ne répondrai pas à une telle question. Je n’ai pas été
contacté officiellement et je ne suis pas à l’aise pour répondre à des
questions qui ne m’ont pas été posées.
Propos recueillis par Boniface Vignon
RFI